Dans l’univers monumental ou celui du bijou, Wabé aime le volume et sait le construire avec équilibre : c’est un sculpteur. C’est sans doute de son amour des contes que lui vient cette facilité à changer d’échelle et à donner aux couleurs une saveur surnaturelle.
Mesure, démesure, ce qui est très petit peut devenir grand et inversement tout en trouvant à chaque fois la bonne proportion. Magie et savoir-faire, celle de l’inspiration et celui du geste qui permet l’émergence de la forme juste.
Wabé a plus d’une corde à son arc. Elle crée des sculptures en béton mosaïque pour l’extérieur et en papier mâché pour l’intérieur. Elle imagine des figures monumentales pour une fontaine et des têtes minuscules pour ses bijoux. Chaque terrain d’investigation est un véritable laboratoire d’idées pour les autres. Bracelets, colliers, bagues et barrettes sont des sculptures miniatures où la spatialité est interrogée avec bonheur au même titre que dans des volumes monumentaux.
Le papier mâché est une matière simple, accessible. Mais une véritable mutation s’opère. Du journal quotidien, elle obtient une pâte qu’elle travaille jusqu’à obtenir une substance très compacte mais jamais figée et sur laquelle elle peut revenir. Sans se redire, elle explore un répertoire de formes humaines et animales qui ne tendent pas à une représentation littérale. Des têtes cornues, joufflues, aux larges oreilles ou au nez protubérant rappellent les masques d’un carnaval imaginaire. C’est une véritable tribu qui apparaît là, les yeux exorbités et la bouche largement ouverte, dans un cri, dans un mot qu’il nous reste à entendre. Quel merveilleux sujet de recherche et d’expression ! Tout dans ces visages nous parle, nous questionne, nous inquiète aussi parfois. Des êtres hybrides, magiques se métamorphosent au gré de sa fantaisie : serpents, chiens, ours, poissons échangent leurs queues, leurs oreilles dans la plus totale fantaisie. Dans ses compositions, Wabé les associe, les lie dans une folle sarabande à la manière des cadavres exquis. Cette faune fantastique peut alors s’enrouler autour des doigts, des bras, du cou, des cheveux, en racontant une histoire qui peut se réinventer à l’envie. Saisis en plein mouvement, ils semblent avoir, comme dans les contes, suspendu leur activité à leur insu. Ils pourraient à tout instant reprendre leur course endiablée. Tout est possible. Car si elle maîtrise le volume, Wabé semble aussi dominer le mouvement, comme si elle avait le pouvoir de canaliser l’agitation de tout son petit monde, de les contenir en attendant de les libérer. Mais n’est-ce pas le propre des artistes d’être des magiciens et de suggérer grâce à leurs œuvres bien plus que ce que l’on croit voir, de faire disparaître les barrières qui brident l’imagination et le désir ?
Les impressions de mouvement latent sont renforcées par la gamme colorée qui est un autre grand talent de Wabé, un véritable vocabulaire. Des aplats de couleurs vives, saturées viennent s’enrichir d’une multitude de pointillés, triangles, points, spirales, gouttes comme si le détail constituait un élément rassurant. Le bleu est vif, le rose lumineux, l’orange flamboyant. Les couleurs rayonnent et laissent au fond du regard une impression profonde qui accompagne nos songes. Car les sculptures de Wabé nous emmènent en voyage, nous plongent dans l’instantané d’un monde parallèle, un univers que chacun vient enrichir de ses propres histoires. Alice ouvre le sommet de sa tête pour nous inviter à découvrir les personnages de sa rêverie. Là, un arbre offre des têtes à la place de ses branches tandis que tel petit diablotin ouvre grand ses bras où des visages remplacent les mains. Enfin, une géante inconnue et invisible a laissé dans la place les perles de son gigantesque collier. A l’instar des parures miniatures, les têtes se suivent et ne se ressemblent pas. Les yeux grands ouverts sur le monde, les bouches pulpeuses racontent à chacun sa propre histoire. Elles se suspendent à l’envers ou à l’endroit, viennent mourir sur le sol. Surdimensionnées mais légères comme l’air, elles ne sont pas effrayantes et nous laissent imaginer la propriétaire, chaleureuse, généreuse et souriante. Plus loin un serpent s’enroule autour d’un poisson, à moins que ce ne soit l’inverse tandis que deux petits chiens sautent sur leur dos. Réunion improbable mais néanmoins rendue plausible. Mais attention au chien hurlant, il pourrait bien nous faire revenir à la réalité par ses aboiements intempestifs et quitter ce rêve magique, cet instant hors du temps où l’esprit vagabonde avec légèreté et insouciance.
Françoise Seince